Voici
comment Benoît XVI s’imagine l’au-delà
« Je
prierai Dieu d’être indulgent avec ma misère », déclarait en 2016 le pape
émérite dans “Dernières conversations”, un livre d’entretiens avec le
journaliste allemand Peter Seewald. Il affirmait également se préparer à la
mort.
Une
chose est sûre : Benoit XVI se prépare à mourir, comme il l’a lui-même affirmé dans le
livre Dernières
conversations, paru
en 2016 (Fayard). Cet ouvrage est un condensé d’entretiens réalisés entre 2012
et 2016 avec son ami Peter Seewald, journaliste allemand. Dans le premier
chapitre du livre – Jours tranquilles à Mater Ecclesiæ –, Peter Seewald
interroge le pape émérite sur sa vie monastique « dans l’enclos de Pierre », et
notamment sur ses activités quotidiennes. Il aborde notamment la passion de
Benoît XVI pour l’écriture et la prédication. Puis, il l’interroge : «
Est-ce que même un pape émérite a peur de la mort ? » Voici la réponse de
Benoît XVI :
« Dans
une certaine mesure, oui. Il y a d’abord la crainte d’être une charge pour autrui
en raison d’une longue période d’invalidité. Pour moi cela serait très
attristant. C’est une chose que mon père a toujours redoutée, mais cette
épreuve lui a été épargnée. Ensuite, bien que je pense en toute confiance que
Dieu ne me rejettera pas, plus on s’approche de Lui, plus on ressent avec force
tout ce que l’on n’a pas bien fait. D’où le poids de la faute qui vous
oppresse, même si la confiance de fond est toujours présente, évidemment.
»
Quand
Peter Seewald lui demande ce qu’il dira au Seigneur lorsqu’il sera face à face
avec Lui, le pape émérite répond : « Je lui demanderai d’être indulgent à
l’égard de ma misère. »
La réponse de Benoît XVI à la question de l’au-delà
Si tout
le monde se pose la question de l’au-delà, la réponse de Benoît XVI est
particulièrement instructive. Il fait partie des plus grands théologiens des
XXe et XXIe siècles, et a consacré toute son existence à contempler et à
explorer le mystère de Dieu. À la question, qu’attendez-vous de la vie
éternelle, le pape émérite distingue deux niveaux : « Tout d’abord le
niveau le plus théologique. » Il cite les paroles de saint Augustin qui sont
pour lui d’un « grand réconfort et une grande pensée » :
« En commentant le psaume 104 “Cherche toujours Sa face”, il dit : “Ce “toujours” vaut
pour l’éternité. » Dieu est si grand que nous ne finissons jamais de le
connaître. Il est toujours nouveau. C’est un mouvement perpétuel, infini, de
nouvelle découverte et de nouvelle joie. »
Qu’est-ce que la vie éternelle pour Benoît XVI ?
Dans
son encyclique Spe salvi (2007),
il répondait précisément à la question, à la manière du « théologien à
genoux » devant les interrogations les plus intimes de chacun, avec une
profonde humanité. Pour lui, la vie éternelle est un désir de vie échappant à
la mort, sans trop savoir « ce vers quoi nous nous sentons
poussés » : « L’éternité n’est pas une succession des jours du
calendrier, mais quelque chose comme le moment rempli de satisfaction, dans
lequel la totalité nous embrasse et dans lequel nous embrassons la totalité. Il
s’agirait du moment de l’immersion dans l’océan de l’amour infini dans lequel
le temps — l’avant et l’après — n’existe plus » (n. 12). Mesurant combien
cette dimension hors du temps humain est difficile à saisir, il écrit :
« Nous pouvons seulement chercher à penser que ce moment est la vie au
sens plénier, une immersion toujours nouvelle dans l’immensité de l’être,
tandis que nous sommes simplement comblés de joie. »
Mais où est Dieu ?
D’où
cette autre question que lui pose Peter Seewald : « Où est-il
réellement ce Dieu dont nous parlons ? » Réponse de Benoît XVI, qui
ne peut s’empêcher de rire, raconte le journaliste : « Cet endroit
dont vous parlez, celui où Dieu trône, n’existe pas. Dieu lui-même est le lieu
qui existe au-dessus de tous les lieux. Si vous observez le monde, vous ne
voyez pas de firmament, en revanche, vous voyez partout des traces de Dieu. […]
De même qu’il existe entre les hommes une présence psychique — deux être humains
peuvent être en contact par-delà les continents parce qu’il s’agit d’une
dimension qui n’est pas spatiale —, de même Dieu ne se trouve pas un “quelque
part”, il est la réalité.
La réalité qui porte toute la réalité. » La raison en est notamment que
Dieu est non seulement l’infini, le Créateur, le tout, mais parce qu’Il est une
personne : « Le fait qu’Il soit une “personne” signifie qu’on ne peut
le circonscrire “quelque part”. » Quant à se faire une image de Dieu, que
l’on verra au Ciel comme il se voit Lui-même, Joseph Ratzinger ne se le
représente pas sinon « dans Jésus-Christ » : « Qui m’a vu a vu
le Père. »
La dimension humaine
À ces
réflexions théologiques, auxquelles le théologien Joseph Ratzinger ne peut
échapper sans renoncer à être lui-même, s’ajoute un « niveau tout à fait
humain » : « Je me réjouis, dit-il à Peter Seewald, de revoir
mes parents, mon frère et ma sœur, mes amis et d’imaginer que tout sera de
nouveau aussi beau que chez nous, à la maison. » Cette approche
familiale et amicale de l’au-delà a également chez Benoît XVI une portée
théologique, car pour lui, la béatitude éternelle ne peut pas ne pas avoir un
« caractère collectif ». Dans Spe Salvi, il reprend l’enseignement des Pères de l’Église,
actualisé par le père de Lubac, pour montrer que « le salut a toujours été
considéré comme une réalité communautaire » (n. 14). Au Ciel, la
rédemption rétablit l’unité, dans une vie bienheureuse partagée entre
tous.
Faut-il se préparer à la mort ?
Reste
la question cruciale de la mort elle-même, dont le théologien Ratzinger a
toujours regretté que le monde moderne lui ait retiré sa dimension
métaphysique, en particulier dans le livre qu’il estime être « le plus
accompli », La Mort et
l’Au-delà (Fayard, 2005) : comment se préparer au dernier passage ?
Pour Benoît XVI, là encore le parcours personnel de la préparation du passage
de la vie à la mort et de la mort à la vie intègre toujours sa dimension
communautaire : « Je pense qu’il faut se préparer, répond-il. Je ne
veux pas dire qu’il y a des actes précis à accomplir, mais qu’il faut vivre
intérieurement en sachant qu’on va devoir réussir un dernier examen devant
Dieu. Que l’on va quitter ce monde et se retrouver devant Lui, et devant les
saints, devant les amis et ceux qui ne sont pas des amis. Qu’il faut accepter
la finitude de cette vie, admettre que l’on approche du moment où l’on se
présentera devant la face de Dieu. »
Comment
faites-vous, lui demande le journaliste ? « À travers la méditation,
tout simplement. En pensant encore et encore que la fin n’est pas loin. En
cherchant à m’y préparer et surtout à me tenir présent. L’essentiel n’est pas
que je me le représente, mais que je vive dans la conscience que toute la vie
est l’approche d’une rencontre. »
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