Deux hommes, chacun à un bout de l’Europe, qui nous parlent des racines chrétiennes cette semaine. L’un a eu droit à une très large couverture médiatique et a pu exposer longuement ses idées. L’autre n’a été relayé que discrètement dans notre pays. Le premier est le polémiste Éric Zemmour, dont le livre paru cette semaine et complaisamment cité un peu partout nous met en garde contre une perte de notre identité et notre culture chrétienne face aux étrangers de toute sorte.
Le second, c’est le pape François, pour affirmer tout l’inverse, exhortant les
chrétiens à ne pas s’enfermer dans une forteresse identitaire, mais à accepter
le dialogue et la diversité. Il ne sert à rien de pousser trop cette
opposition, ne serait-ce que parce que les arguments du premier ne méritent
guère de lignes ici. Et que le second, le pape François, ignore tout d’Éric
Zemmour. Mais c’est bien à cette même veine d’un populisme identitaire,
incarnée en Hongrie par le premier ministre, le protestant Viktor Orban, que le
pape répondait.
. Pour le pape François, l’Europe ne doit
pas devenir « un bureau de gestion »
La tentation de faire du christianisme le
gardien d’un patrimoine pour défendre la vieille Europe rencontre un écho
croissant dans tout le continent. Le philosophe Michel Onfray, pourtant
lui-même non croyant, dans un article du Figaro cet été, regrettait la décision du pape François
de restreindre l’usage du rite de saint Pie V (dit rite en latin), en
l’accusant « d’atteinte au patrimoine de notre civilisation ». Rien
de moins.
Dans toute l’Europe, ce discours inquiet,
qui face à une supposée menace de l’extérieur en appelle aux vieilles racines
chrétiennes, a tendance à se durcir. Ce que le jésuite Paul Valadier, dans un
éditorial au vitriol dans la prestigieuse revue Études, appelle « un maurrassisme qui ne voit dans
la religion qu’un patrimoine à sauvegarder ».
C’est exactement à cela que le pape
François, avec une constance peu habituelle, a répondu sur tous les tons lors
de son voyage en Hongrie et en Slovaquie . «
L’Église n’est pas une forteresse, une puissance, un château situé en hauteur
qui regarderait le monde avec distance et suffisance », a-t-il lancé à
Bratislava. Et, un brin provoc dans une Europe centrale tout juste remise du
communisme et que l’immigration effraie, il invite, « devant la
diversité culturelle, ethnique, politique et religieuse », à « nous
ouvrir à la rencontre avec l’autre et cultiver ensemble le rêve d’une société
fraternelle ».
Il faut cependant se méfier d’une
opposition trop frontale. Ce serait justement tomber dans le piège tendu par
les populistes. Il n’y a pas, d’un côté, un christianisme ouvert à tout vent,
une sorte de world culture bisounours occultant les
différences culturelles et nationales et, de l’autre, un christianisme engoncé
dans son histoire et son patrimoine. Le pape François, certes moins que ses
prédécesseurs les très européens Jean-Paul II et Benoît XVI, ne nie pas le rôle
de la culture des peuples. Mais elle ne doit pas être la fin de
l’évangélisation, plutôt son début. Dans une belle image autour de la croix
qui, « plantée en terre, en plus de nous inviter à bien nous enraciner,
élève et étend », il invite aussi à assumer « des racines » chrétiennes.
Assumer au sens fort, car tout n’est pas à garder dans cet héritage : le pape
en Hongrie ou en Slovaquie n’a pas uniquement parlé des
migrants, il est longuement revenu sur la Shoah et la tragique extermination du
peuple juif en Europe centrale. Et sur la condition indigne, en Slovaquie, qui est faite aux Roms, peuple pourtant sur ces
terres depuis des siècles. Nos racines chrétiennes, oui. Mais à condition de
les purifier.
Ce texte est extrait de la chronique d’Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef
paru dans « La Croix L’Hebdo » du vendredi
17 septembre autour de la réponse du pape face au populisme identitaire de
Viktor Orban, de l’omniprésence médiatique d’Eric Zemmour.
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